Grande Traversée du Jura Hivernale à Pied

Un moment que cette aventure me trotte dans la tête. A chaque fois que je passe dans le Jura, que je traverse ces forêts, que je viens, à l’arrivée de l’automne, passer un weekend en famille pour profiter des couleurs et de la nature, je me dis la même chose : Et si je me lançais dans une grande traversée hivernale, une microaventure aux airs polaires et pourquoi pas une préparation à quelque chose de plus engagé encore, plus long, dans le Grand Nord, un jour.

Alors quand je traverse en voiture la région le 31 décembre dernier, au crépuscule avec les couleurs du ciel, la neige et le froid glacial, la décision est prise, ce sera pour cette année. Je motive d’abords un copain avec l’idée d’effectuer un parcours sur trois jours en ski nordique et pulka. J’étudie les cartes, me renseigne sur le matériel, la location et les options d’hébergement. Ce sera pour début février, sur l’itinéraire de la Grande Traversée du Jura à ski. Et puis le copain en question se claque un mollet en jouant au foot, impossible d’être remis à temps, on décale. Mais le temps passe, la neige fond, les températures remontent et les disponibilités de l’un et de l’autre ne concordent plus, pourtant dans mon esprit, il faut que ce soit cette année, plus envie d’attendre.

Et si je partais seul ? Ça ne me dérange pas, j’ai déjà voyagé seul plusieurs fois à l’autre bout du monde et mon pote ne pourra plus cette année c’est maintenant certain… Puis les planètes s’alignent (littéralement le 28 février 2025), il va neiger pendant 3/4 jours puis grand beau et froid pendant une semaine. C’est parti !

Malgré la rechute de neige, beaucoup de portions du tracé de la Grande Traversée du Jura (GTJ) ne sont plus praticables à ski, je partirai donc en raquettes et sac à dos, une pulka ne servirait à rien sans neige et je voyagerai plus léger. Je décide de dormir sous la tente pour vivre l’expérience solo au maximum et tester ma résistance au froid la nuit.

En étudiant le tracé grâce au calculateur d’itinéraire du site de la GTJ, je décide de partir des Sources du Doubs à Mouthe pour rejoindre Lajoux dans le département du Jura en 3 jours et 2 nuits, soit 64 km à pied, ambitieux mais faisable il me semble. Je repère les lieux de bivouac idéaux, le premier, proche de Chapelle-des-Bois est repéré grâce à un vieil article de blog de Florine Tournier, pour une première étape de 24 km, le second, dans une clairière de la Forêt du Massacre repéré sur la carte, pour une seconde étape de 30km qui me laissera 9 km le dernier jour jusqu’à Lajoux. Je connais la vallée des Rousses et ne vois où je pourrais y dormir de manière isolée, d’où cette grosse deuxième journée.

Coté matériel, j’ai presque tout, le plus important étant un sac de couchage Millet confort 0°c, ensuite j’ai une tente Queshua 2 places pas très légère tout à fait basique et il me manque juste un vrai matelas isolant que j’achète 2 jours avant le départ, autogonflant avec une R-Value de 3.1 soit un confort à -5°c environ. Il y a plus qu’à.

Le ciel jurassien au crépuscule du 31 décembre

Jour 1 : De Mouthe au Lac de Bellefontaine / 24 km & 740m D+

Lundi 3 mars, arrivé un peu avant 10h sur le parking des sources du Doubs, aux pieds des pistes de Mouthe. J’aperçois un peu plus loin trois personnes avec des raquettes sur le sac qui discutent, il n’y a absolument pas de neige ici, je me prépare, mets mes chaussures d’alpinisme avec lesquelles je ferai ma traversée, j’enlève une paire de gants du sac, puis la remets pour l’enlever à nouveau. Je ne veux pas emmener d'élément superflu qui prendrait de la place dans un sac déjà bien rempli et représenterait un poids mort. La plus grosse question demeure les raquettes, les prendre pour ne pas s’en servir serait vraiment le pire pour moi, c’est très encombrant et somme toute assez lourd. C’est décidé, je prends les guêtres mais pas les raquettes, comme ça au pire si j’enfonce par endroits je n’aurai pas de neige dans les chaussures, c’est au moins ça et je serai surtout plus rapide pour atteindre mon objectif.

10h15, je me lance, je laisse derrière moi ma voiture que je ne retrouverai que dans 2 jours si tout se passe comme prévu et demande à ces 3 filles si elles partent ou arrivent, je crois comprendre qu’elles ne font qu’un stop mais repartent dans l’autre sens dans ma direction, elles me confirment surtout que les raquettes ne leur ont pas été utiles et que je fais bien de ne pas les prendre. Rassuré, je me lance donc avant elles pour m’assurer de marcher seul.

L’itinéraire est censé être balisé tout du long, j’ai aussi planifié tout l’itinéraire en 3 étapes sur Komoot et chargé le tout sur ma Garmin, selon le GPS j’ai 24 km pour 6 heures de marche aujourd’hui. Les premières enjambées permettent de régler le matériel, les bâtons, les chaussures, j’enlève assez vite ma seconde couche et mon bonnet, même à l’ombre en lisière de forêt il ne fait pas très froid. La solitude ne m’inquiète pas, mes principales interrogations portent sur le froid prévu pour les nuits et la gestion de l’eau pendant les 3 jours, j’ai une gourde de 80cl et un thermos de 50 cl d’eau chaude pour le thé du soir, je compte donc sur ma gourde de 80cl que je devrai remplir dès que j’en ai l’occasion sans savoir exactement où et quand.

Je prends assez vite de la hauteur grâce à une longue route goudronnée et trouve enfin plus de neige pour finalement sortir de la forêt dans une superbe clairière jalonnée de mes premières fermes typiques du Jura, je suis aux anges, j’ai parcouru 8 km en 2 heures soit exactement le rythme que j’avais imaginé, je m’imprègne petit à petit de mon environnement au son des bruits de la nature et de mes pas dans la neige, je suis absolument seul et j’observe déjà pas mal de traces d’animaux en espérant en croiser durant cette aventure.

Sortie de la clairière et retour en forêt au moment où la faim se fait sentir, le sac commence déjà à peser lourd sur les épaules, j’aimerais trouver un point de vue ouvert pour profiter de mon sandwich et continue ma marche à la recherche du lieu idéal.

Les kilomètres défilent et l’itinéraire ne quitte plus la forêt depuis que je cherche un endroit dégagé… La faim et la soif se font sentir, il commence à faire très chaud et je ne suis pas sûr de pouvoir faire le plein d’eau avant un moment, j’économise donc mes ressources. Le sac me scie maintenant littéralement les épaules et la forêt qui n’en finit pas…

Je constate que le mental et la motivation sont très vite affectés lorsque l’on a le ventre vide mais j’entends des voix au loin et j’espère avoir l’occasion de remplir la gourde et me poser pour manger enfin un morceau.

À ma grande déception, la petite station de ski de fond du Pré Poncet n’a plus d’eau potable et la buvette n’accepte que les chèques ou les espèces, je n’ai pas pris de cash… Erreur.

13h45, je pose enfin le sac après m'être éloigné un peu de la station pour profiter d’un bon repas, sandwich et pomme au menu chaque jour, la dernière heure a été compliquée, chaleur, douleurs et faim m’ont miné le moral. 3h30 de marche pour 13km, je vais pouvoir faire le plein d’énergie et reposer un peu mes épaules, pendant que je fais sécher mes affaires au soleil, je transpire beaucoup avec cette chaleur et me déshydrate à vitesse grand V.

Lorsque je repars, il me reste 9 kilomètres pour environ 2h30 de marche soit une arrivée prévue pour 17h. Cela devrait me permettre d’installer la tente avant la nuit, je ne sais pas exactement à quelle heure elle tombe mais je pense que ça ira, c’est l’essentiel si je souhaite profiter un peu du lieu que j’ai choisi à mon arrivée. Je devrais pouvoir faire le plein d’eau dans le village de Chapelle des Bois mais vais devoir tenir jusque-là avec un fond de gourde, je rêve déjà d’un Coca bien sucré. Les épaules sont douloureuses, les pieds commencent à chauffer mais c’est surtout la chaleur accablante qui me fait souffrir, je m’étais préparé au froid mais alors le chaud, pas du tout.

Le regain d’énergie est de courte durée. Le sac est à nouveau très lourd sur les épaules alors que la trace GPS et les balises ne concordent plus, m’obligeant à effectuer des montées et descentes inutiles dans la forêt au lieu de longer celle-ci à plat sur les pistes de chiens de traîneau. Je doute. Peut-être l’objectif était-il trop ambitieux et que je devrais me replier sur mon plan B, un itinéraire plus court que j’avais imaginé si la progression en raquettes me ralentissait, celui-ci se terminant aux Rousses au lieu de Lajoux. Je donnerais cher pour trouver un banc comme il y en a parfois sur les sentiers de randonnées des Alpes suisses, j’ai du mal à avancer sans râler intérieurement, un nouvel arrêt s’impose.

Kilomètre 16, pause salvatrice. Je me suis assis sur un gros caillou pour soulager les épaules et prendre un antidouleur. Je comprends que le lieu de bivouac du plan B était celui où j’ai mangé mon sandwich, je l’ai du coup passé depuis longtemps, ce sera donc l’option longue prévue initialement et tant mieux ! J’attaque le mélange de noix et fruits secs que j’ai avec moi mais je n’ai plus d’eau… Plus de doute possible, je dois avancer et serrer les dents jusqu’au prochain village, j’ai au moins réussi à me refroidir à l’ombre, la motivation est de retour, le but approche et les paysages sont sublimes, j’ai trop attendu pour manger tout à l’heure et je l’ai payé sur-le-champ, je m’en souviendrai. Allez go !

16h10. Arrivée à Chapelle des Bois. Un Coca et de l’eau face à la chapelle dans le seul hôtel-restaurant ouvert du village et dernier repère de civilisation de la journée, quel bonheur ! Il me reste 3-4 kilomètres avant d’arriver à mon lieu de bivouac, j’ai fait le plein d’eau et j’ai le thermos pour mon thé du soir, je suis au max et me régale à nouveau. Qu’est-ce que ce Coca est bon !

Je quitte le village regonflé à bloc, je vais longer un grand mur de falaises pour m’enfoncer à nouveau dans la forêt et le Jura sauvage, hâte de poser le sac pour de bon. Le soleil baisse de plus en plus, je dois me dépêcher de trouver le spot idéal ou planter la tente, la forêt est très humide, le terrain est gras, je marche à travers les épicéas et les bouleaux et j’observe des traces de lynx partout, je rentre sur son territoire.

17h30. Ça y est, la tente est dressée, je ne suis pas complètement à plat, la neige est mouillée mais je n’avais plus trop le temps de réfléchir, ça fera très bien l’affaire. La vue est somptueuse et je vais pouvoir assister au coucher du soleil. Quelle journée ! J’ai puisé mais je suis content, rincé mais heureux, l’ambiance est magique, je suis seul au milieu de la nature, le camp surplombe au loin les lacs de Bellefontaine et des Mortes, gelés, c’est magnifique.

J’ai perdu une doudoune dans la forêt entre ici et le village je pense, elle était mal accrochée depuis que je l’avais enlevé ce matin, c’est une mauvaise nouvelle, j’en ai heureusement une autre dans mon sac au cas où la première était humide, mais cela aurait pu me coûter cher avec les températures prévues pour la nuit, je ne suis pas très fier de moi. Je savoure tout de même un thé presque chaud, mon thermos est semble-t-il défectueux et ne garde pas si bien la chaleur mais rien ne pourrait venir gâcher ce moment incroyable. Habits de rechange sec enfilés, camp installé et corps réchauffé, j’assiste au coucher de soleil au son des oiseaux qui m’entourent. Je lance ensuite la fondue sur le réchaud, la température chute drastiquement une fois le soleil disparu, manger chaud me fera du bien, les couleurs dans le ciel sont merveilleuses. 

La nuit tombe, un dernier regard dehors et au dodo, je suis épuisé, j’espère juste que mon matériel tiendra le coup face aux -10°c annoncés.

Jour 2 : Lac de Bellefontaine - Carrefour du Massacre / 30 km & 870m D+

Réveil glacial ce matin à 6h, il y a du givre partout sur la tente, il a bien dû faire -10 cette nuit pourtant tout s’est bien passé. J’ai dormi par tranche de 2h environ, emmitouflé dans mon sac je n’ai pas eu froid à condition de bien rester au-dessus du matelas isolant au risque de sentir immédiatement la morsure de l’humidité froide qui remonte du sol, le moindre bout de peau qui sort du sac est piqué au vif lui aussi. J’ai entendu quelques bruits pendant la nuit, sûrement un lièvre dont je découvre les traces dans la neige derrière la tente, à part ça, rien à signaler.

Une fois habillé, je mets de la neige à fondre sur le réchaud et part faire un tour pour me réchauffer les pieds, malgré le papier toilette fourré dans mes chaussures hier soir, celles-ci sont extrêmement froides au moment de les enfiler, j’ai les orteils qui brûlent de froid, les couleurs de l’aube et le silence créent une atmosphère grandiose.

La journée s’annonce ardue. Je dois faire 30 km soit 7 de plus que la veille, j’appréhende un peu pour le timing, même si je pars deux heures plus tôt et je n’ai pas de plan B cette fois-ci, je dois y arriver sinon c’est retour à la maison, synonyme d’échec à ce point de l’aventure. 2 œufs durs, une pomme et un bon thé chaud saveur fondue et épines de pin, je me réchauffe tranquillement et profite au maximum de la vue et du cadre qui m’entoure.

8h45. Un dernier regard sur les lacs et c’est parti ! J’ai déjà 45 minutes de retard sur l’horaire prévu mais j’ai voulu savourer le moment avant d’entamer cette journée par une grosse montée dans les bois. Juste avant de mettre mon sac pour partir, j’ai cassé l’accroche de sa ceinture ventrale en marchant dessus, je suis obligé de l’attacher en faisant un nœud désormais et devrais répéter l’opération à chaque fois, c’est assez agaçant, d’autant plus que je commence à avoir mal au bout des doigts à force de manipuler tous les zips, clips, lacets et autres accroches d’appareil photo dans le froid, mais je n’y peux rien, je me lance.

La journée commence par 200 mètres de dénivelé tout raides sur une trace de tracteur de bûcheron entre neige et boue gelée, unique avantage, ça réchauffe. En revanche le coup d’œil à l’arrivée depuis la Roche Bernard en valait la peine, ce balcon surplombe tout le nord du Jura, des forêts à perte de vue, mon spot de bivouac de la veille, je savoure encore ces paysages sauvages, on se croirait dans le film Into the Wild.

Problème avec toute cette contemplation, je n’avance pas. A peine 2 kilomètres en une heure, je prends encore du retard sur l’objectif et ce n’est vraiment pas bon pourtant tout me porte à prendre mon temps, tout est paisible, la forêt du Risoux est trop belle, j’ai envie de m’imprégner de ces moments pour qu’ils durent le plus longtemps possible.

Lorsque je me décide enfin à repartir d’un bon train, je constate que je n’ai déjà presque plus d’eau, la gourde en a pris un coup dans la montée mais j’ai repéré un refuge sur mon chemin où je devrais être en mesure de faire le plein, j’avance et me délecte de ma solitude, il n’y a que moi et les sons de la forêt, c’est exactement ce que j’étais venu chercher.

10h10. J’arrive au Chalet Gaillard, fermé le mardi et aucune possibilité de remplir la gourde. Génial. Je finis quand même la gourde et enlève des épaisseurs, la chaleur commence déjà à bien se faire ressentir. il me reste environ 1h30 à 2 heures de marche pour retrouver la civilisation à Bois d’Amont, ça devrait aller. Le sac lui, est déjà lourd.

J’avance plein Sud pour traverser la forêt, conscient de mon retard mais avec les épaisseurs en moins je revis un moment, j’ai beaucoup moins chaud, c’est la belle vie ! Je ne vois plus beaucoup de traces d’animaux et croise mes premiers humains qui randonnent, la civilisation approche.

11h15. Je n’avance vraiment pas, 6 km en 2h30, c’est limite inquiétant. Cela signifie qu’il m’en reste autant que toute ma journée de la veille avec une longue montée pour la fin, je ne vois pas comment y arriver avant la tombée de la nuit, la trace GPS et le sentier sont à nouveau complètement différents, je perds beaucoup de temps à hésiter pour savoir lequel suivre et le terrain devient boueux à l’approche de la vallée aux expositions sud, je commence à réfléchir à un plan B, peut-être que je pourrai trouver un coin sympa après les Rousses ? Pas envie de rentrer ce soir en tout cas et puis je commence à avoir faim mais je n’ai pas envie de manger ici dans les traces boueuses des bûcherons. Je dois d’abord trouver une solution.

Les retrouvailles avec l’urbanisation sont assez violentes, le bruit, les routes, les pavillons… L’arrivée à Bois d’Amont ne me réconforte pas beaucoup, le seul avantage est que j’ai pu m’acheter un Coca et un Gatorade et remplir la gourde dans une source naturelle mais ceci mit à part, je sens que je suis parti pour marcher un bon moment dans ce cadre très éloigné de celui que je viens de quitter, avec la faim, le moral en prend un coup.

À la sortie du village, le GPS et la piste divergent encore pour partir chacun sur une rive de l’Orbe que je suis censé remonter jusqu’aux Rousses, les 7 kilomètres de ce qui devait être une piste de ski fond damé sont en réalité une tourbière en décongélation ou neige à quasiment disparu pour faire place à de l’herbe boueuse. Je ne prends aucun plaisir et je ne me vois pas évoluer 2 heures là-dedans sachant que j’ai déjà accumulé un retard pénalisant pour la suite de mon parcours. Et si je faisais du stop ?

Il ne m’aura pas fallu longtemps pour prendre la décision, et me voici une demi-heure plus tard aux Rousses, je viens de faire d’une pierre deux coups en évitant 2 heures de marche pénibles et en rattrapant par conséquent mon horaire d’origine, aucun regret donc. J’ai fait le plein d’eau bouillante dans le thermos pour ce soir, tous les voyants sont à nouveau au vert, c’est reparti pour l’objectif initial, je suis ravi !

14h15. Après une bonne pause sandwich à la sortie des Rousses ou j’ai pu faire sécher mes affaires et me poser des Compids un peu partout sur les pieds, je repars rassuré de ne pas avoir à passer la nuit par ici, entouré de routes et de villages bruyants. Il me reste tout de même un bon bout, 3h15 de marche environ avec cette montée finale qui promet un bel effort. Il ne faut pas traîner à nouveau mais le moral est revenu. Go Go Go !

Le terrain n’est toujours pas idéal, je coupe donc tout droit à travers champs en quittant la trace pour suivre un azimut approximatif, la chaleur est étouffante, le sol spongieux et déjà presque plus d’eau froide dans la gourde mais j’espère faire le plein à Prémanon avant d’entamer la dernière section du parcours, j’ai encore gagné du temps avec ce raccourci pour une arrivée prévue vers 17h, c’est parfait.

Après avoir retrouvé l’itinéraire balisé et la neige, je réalise qu’en suivant celui-ci, j’ai contourné le village au lieu de le traverser, il est maintenant derrière moi et je ne suis pas certain de trouver un autre point d’eau. Avec le thermos plein je décide d’avancer sans me retourner mais je ne suis pas serein, il fait toujours très chaud et cette heure et demie dans les champs m’a tout de même bien contrariée, la fatigue se fait sentir et je ne suis pas au bout de mes peines. J’avance en puisant dans mes ressources, au mental.

Et soudain, le Jackpot ! Le petit bureau d’information de la Darbella et sa salle hors sac avec un robinet d’eau ! Je n’y croyais plus, je m’envoie deux gourdes cul sec et fais le plein pour la suite, je suis totalement déshydraté, exténué, le sac me découpe les épaules, je n’ose même plus l’enlever au risque de ne pas réussir à le remettre, j’avance désormais mécaniquement comme un robot, sans trop réfléchir. Ma montre est tombée en rade de batterie, je me sers de mon téléphone branché sur ma batterie pour suivre l’itinéraire au moment d’attaquer la montée, j’avale une poignée de fruits secs et pense au petit saucisson que j’ai dans mon sac, hâte d’arriver et de le dévorer.

Je monte directement sur la piste de ski de fond sous les remarques agacées de quelques fondeurs mais j’en ai assez de l’itinéraire peu fiable qui zigzag dans les bois pour monter puis redescendre sans raison. Je pense aux mecs qui ont fini récemment la Yukon Arctic Ultra en s’envoyant 80 bornes par -40°c pendant une semaine et mesure l’exploit sous un nouvel angle, toute aventure future dans le Grand Nord nécessitera une préparation sérieuse…

J’arrive au bout de cette interminable montée, point culminant de la forêt du Massacre, à 1350m d’altitude, il me reste 20 minutes et j’espère encore une fois arriver avant que le soleil ne disparaisse, il fait déjà sombre ici dans la forêt, j’ai mal partout et suis à nouveau seul. Il est 17h.

Mon arrivée dans la Combe à la Chèvre est une délivrance, je suis juste à l’heure pour monter la tente et profiter des derniers rayons de soleil, c’est chose faite à 17h45. Je suis super content du lieu et du cadre et me félicite d’être parvenu jusqu’ici. Seuls quelques fondeurs passent encore au loin, je vais me changer et me servir un bon thé chaud, je suis lessivé mais aux anges. J’aurais tout de même marché 23km aujourd’hui pour presque 900 mètres de montée, la chaleur, la gestion de l’eau stressante et le terrain pourri de l’après-midi ont rendu la journée difficile, il y a de quoi être satisfait. Et je vais pouvoir entamer mon saucisson !

Quand ça veut pas… Après un bel apéro thé / saucisson, je lance la fondue et le réchaud me lâche au milieu de la cuisson, plus de gaz, ça m’apprendra à faire fondre de la neige pendant des plombes ce matin. Il est 18h45 et plus rien ne peut m’atteindre, je mange la fondue telle qu’elle est, à moitié fondue avec le pain, je n’ai pas froid et il me reste de l’eau chaude pour le dernier thé du soir, je ne ferai de toute façon pas long feu avec la fatigue accumulée. Je savoure la vue, les couleurs avec juste le chant des derniers oiseaux pour briser le silence feutré de la combe. Ça se mérite, mais quel bonheur !

25 minutes plus tard, c’est l’heure du coucher, je suis bien organisé sous la tente, je progresse, je finis l’eau chaude juste avant de me glisser dans mon sac de couchage, il devrait faire encore plus froid cette nuit avec l’altitude mais je suis bien. C’est la dernière, je m’imprègne de chaque instant.

Jour 3 : Carrefour du Massacre - Lajoux / 9 km & 150m D+

Réveil 6h30 ce matin, il fait très froid, il a dû faire -15/-20°c cette nuit mais à nouveau j’ai plutôt bien dormi par petites tranches entrecoupées par les crampes, la douleur au bout de mes doigts ou si une partie de mon corps dépassait malencontreusement du matelas. Le soleil n’est pas encore levé, je n’ai plus d’eau chaude ni de réchaud, donc pas de thé ce matin. Je me brosse les dents et traverse la combe pour assister au lever du soleil et réchauffer mes pieds dans mes chaussures gelées. Je n’ai ni envie ni besoin de me presser ce matin, c’est le dernier jour et je n’ai que 9 km à parcourir pour rejoindre Lajoux, une simple formalité a priori. Je vais contempler les couleurs et profiter à fond de l’ambiance qui règne ici.

Je vois même le Mont-Blanc d’ici, c’est magique, l’atmosphère est sublime, je n’ai que les oiseaux pour me tenir compagnie et ces lumières incroyables dans le ciel, ça pince mais waow !

8h35. L’heure du départ. Ce lever de soleil était un moment suspendu. Je m’améliore sur mon temps de paquetage, je suis bien en forme, ressourcé par cette matinée magique. 3 heures de marche environ pour une arrivée vers 11h30, encore une fois ma seule préoccupation réside dans la gestion de l’eau, je pars avec seulement quelques gorgées dans la gourde et aucun point de ravito sur mon chemin mais au pire je mangerai de la neige, ce n’est plus très grave si j’ai mal au ventre aujourd’hui.

Comme chaque matin, les premières foulées dans la fraîcheur sont un immense plaisir, je ne suis pas complètement seul ce matin, je traverse un domaine de ski de fond et croise parfois les pistes, il y a évidemment des skieurs que j’entends tout le long mais rien de ne gâche la beauté des lieux.

9h50. Ça chauffe déjà. j’enlève les sous-couches, ouvre toutes les ouvertures possibles et me fais une toilette du visage à la neige pour me rafraîchir. Enlever le sac, enlever les chaussures, remettre les chaussures, remettre le sac. J’ai mal aux doigts et aux épaules, ça sent la fin, la motivation n’est plus la même mais je savoure. J’attaque aussi la neige, la soif me serre la gorge.

Que de chemin parcouru depuis Mouthe, tellement de paysages, j’essaye de tout me remémorer et mesure la distance effectuée. Il me reste un peu plus d’une heure de marche, je longe les pistes de ski de fond, il fait toujours très chaud et évite de trop manger de neige, je sens déjà mon ventre se contracter, ce serait dommage de finir en catastrophe. Je découvre aussi que le ski de fond “hors-piste” existe et rigole beaucoup en voyant chaque “freerider” se vautrer dans leur pratique, quelle idée ! Je finis par faire sauter la veste pour les 4 derniers kilomètres, la chaleur est suffocante, je rêve de froid et me demande si les participants à la Yukon Arctic rêvaient de chaud eux ? Quand tu as froid, tu peux mettre des épaisseurs mais quand tu as chaud et que tu as tout enlevé, et bien tu as chaud, et je déteste ça. Je suis un homme du froid moi, voilà.

La soif devient insoutenable. Je rêve d’une source d’eau, d’un Coca et d’une bière à l’arrivée. Plus elle approche et plus c’est dur mentalement. La tête a envie de se dire que c’est fini mais le corps doit encore marcher, j’y suis presque. Je suis content de la performance physique, mis à part les petits bobos, je trouve que la machine a bien fonctionné, j’ai tout de même marché à un bon rythme durant ces trois jours malgré les nuits peu reposantes et aucune réelle préparation préalable. Mon seul regret est de ne pas avoir croisé d’animaux sauvages malgré toutes les traces observées mais je suis sûr qu’eux ont eu tout le loisir de m’observer pendant que je pestais contre la chaleur ambiante et le poids de mon sac.

Ça y est, j’arrive enfin à Lajoux, c’est la fin de mon périple, je suis fier de cette première aventure hivernale en solo. Il va me falloir un moment pour digérer tout ça, c’est maintenant le moment de commander une carafe d’eau, un Coca et une bière chez Feodor pour célébrer mon arrivée. Je me lancerais ensuite, après avoir avalé, un bon burger, pour un retour en stop vers Mouthe ou j’ai laissé ma voiture il y a deux jours (J’ai refusé les services de taxi de l’agence Roule ma Poule, apparemment spécialisée dans ce genre de “rapatriement” tout au long de la Grande Traversée du Jura, leur proposition à 105€ étant tout bonnement hors de prix). Il me faudra moins de 3 heures et 5 stops pour y arriver, l’option mérite amplement d’être envisagée.

Vive le Jura !

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